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Satan

27 Août 2013 , Rédigé par Bernard Molter Publié dans #APOCALYPSE

Satan

Ce matin je découvre une étonnante ressemblance entre un passage du journal de Bernanos et le verset de l’Apocalypse où il est question de la seconde mort, la mort définitive dans l’étang de feu de la mort elle-même et de l’Hadès, de ceux aussi qui ne se trouvaient inscrits dans le livre de vie.

Il y a une communion des saints, note Bernanos dans son journal, il y a aussi une communion des pécheurs. Dans la haine que les pécheurs se portent les uns aux autres, dans le mpépris, ils s’unissent, ils s’embrassent, ils s’agrègent, ils se confondent, ils ne seront plus un jour, aux yeux de l’Eternel, que ce ac de boue toujours gluant sur quoi passe vainement l’immense marée de l’amour divin, la per de flammes vivantes et rougissantes qui a fécondé le chaos (Cité dans Albert Béguin, Bernanos par lui-même, éd. du seuil, p. 94)

Seuls des visionnaires peuvent écrire des choses aussi extrêmes. M. Ouine dans le roman qui porte le nom de cet étrange personnage est la parfaite image de celui qui est voué à la perdition, au mal, au feu de l’étang, au monde de la perdition dont l’imagination du romancier ne saisira jamais qu’une ébauche, celle d’une création. Mais existe-t-il perdu à jamais, à cet envers de la création, qui littéralement ne peut être et qui suggère à Bernanos l’image de la méduse, ces poches flasques de la mer, translucides et avortées, à l’extrême limite de l’être.

Dans une interview donnée récemment sur la chaîne KTO, le Père Laurent disait du Mal qu’il est un manque ou un défaut d’être, une privation. Il n’existe pas comme tel, mais seulement comme négation au sein d’une substance avec laquelle il ne saurait se confondre, porté par autre que lui. Le bien est. Pas le mal. La maladie ronge l’être sain, comme le malheur, l’être appelé au bonheur, la violence, ce qui est fait pour s’entendre et vivre dans la paix, l’égoïsme n’est qu’une déformation de la générosité ? Notre Seigneur nous libère, nous rend à la vérité de notre être, sur le bois de la croix, la résurrection nous tire de la mort et nous introduit à la vie pour laquelle nous sommes créés ?

Le mal

Dieu n’a pas voulu la mort, ni la maladie, ni les ruines, les destructions, la haine, les inimitiés, tout cela qui vient de l’homme, ni les catastrophes de la nature. Il a voulu un monde qui fût bon. Et Dieu vit que cela était bon. Il même vu que l’œuvre du sixième jour était très bonne (Gen. 1, 31). De tout le mal qui se produit dans le monde depuis les origines, je dis que Dieu est innocent, tellement innocent que dans un corps à corps inexprimable avec la mort, Jésus s’est débattu dans le Jardin de l’agonie pour vaincre notre mort par sa mort, pour nous révéler le visage d’un Dieu qui ne cesse jamais d’être avec nous ni de vouloir avec nous l’harmonie, la beauté, la jeunesse et la joie. Davantage : Dieu nous révèle un Dieu blessé à mort par la mort, un Dieu blessé à mort par le mal, blessé à mort par tous les refus d’amour, un Dieu qui ne cesse de nous attendre et qui est en nous la source de cette conscience du mal d’où Camus tirait sa noble révolte.

Pendant près de deux heures l’homme, je ne savais pas son nom, c’était notre première rencontre me retint auprès de son lit d’hôpital; il avait, je le compris aussitôt, des choses à dire. Je ne sais pas où commencer. Peut-être cette question : quand est-ce qu’on va au paradis ? A l’heure de la mort ? Il me regarda furtivement, épiant un signe sur mon visage, tandis que je cherchais à répondre. Avant que j’eus articulé un mot, voici ma réponse, fit-il, ce n’est pas demain ni à l’heure de la mort que j’irai au paradis, j’y suis aujourd’hui, maintenant. Il marqua un arrêt, prit la tête dans ses mains, il cherchait, il n’avait pas encore trouvé d’issue à ce qui se pressait en lui. Je commence par le début, reprit, j’étais le chouchou de mon père, il est vrai que je faisais ses quatre volontés; or, dans notre dialecte, un proverbe dit : on ne donne pas l’avoine au cheval qui l’a méritée. L’événement se situe peu après que père eut fait le partage de ses biens devant notaire. Un jour, il y a une vingtaine d’années de cela, il se ravise. Écoute, dit-il, il me faut vingt millions pour aider G., (je compris qu'il s'agissait de l'un de ses frères. C'est à toi de me les donnerais je ne les ai pas, dis-je tu sais bien que j'en ai besoin pour ma propre maison. Père insiste : Il me les faut ! Je résiste. Il m'insulte. Je finis par céder et m'organisai pour satisfaire ses exigences. Nous sommes chez le notaire. J'ai eu le temps de réfléchir. Non, ce n'est pas juste, me dis-je, je n'ai pas le droit de jouer avec mon père ; il est adulte, il faut agir en conséquence et le traiter en homme responsable. Il pense que j'ai toujours bossé pour lui et que je suis taillable à merci. D’accord, dis-je, je donne tout, et me tournant vers le notaire : J’exige en plus du remboursement dix pour cent d’intérêts. Mon père, s’adressa nt à son tour au notaire : Voyez, dit-il, comment se comporte mon fils. Puis plein de haine : Si je meurs, je ne veux pas le voir sur la tombe, je me retournerai sous terre. Dans la suite, alors qu’il était en maison de retraite, passant l’éponge sur sa façon d’être, je lui ai rendu visite régulièrement. Jamais il n’a fait allusion à son comportement. Moi, j’attendais un mot d’excuse, la réconciliation ; il aurait pu dire : Je t’ai blessé. Chaque fois que je le quittais, je sentais qu’il me plantait le couteau dans le dos. Un jour il a parlé de maman : Comme elle était bonne avec vous, les enfants ! Je dis : Père si tu veux, on va dire ensemble pour elle le Notre Père et le Je vous, salue, Marie. Il répondit : Tu as de la chance d’avoir la grâce de Dieu avec toi. Claude poursuivit son récit : Il est mort sans qu’il y ait eu le moindre geste de réconciliation. Je me dis aujourd’hui qu’il n’y a jamais qu’un seul fautif. Peut-être ai-je ma part de tort dans toute cette histoire laisse faire le temps, un jour, me dis-je, tu trouveras la solution à tes questions. Il faut que je lui pardonne, comme le Christ du haut e la croix a pardonné à ses ennemis.

Qu’avais-je à dire, moi qui écoutais ? Rien, me semble-t-il. Un jour je lui dirai : C’était formidable, ta confession sur le lit d’hôpital. Tu as revécu avec moi le drame qui a fait se dresser ton père contre toi et tu n’as pas encore trouvé la paix. Pourtant tu connais la réponse, tu as avoué que tu ne lui as pas vraiment pardonné. Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font.

Une seule fois Claude a évoqué le démon. Il est malin, le démon, a-t-il dit, pour semer la zizanie ; il prend plaisir à voir se dresser les uns contre les autres. Et puis sans transition il a ajouté : Père était l’esclave de l’argent, il n’y a que cela qui comptait pour lui, il était pris dans ses filets, son prisonnier. Pourtant, ajouta-t-il, en me regardant avec insistance, il n’y a pas que l’argent dans la vie. Je pensais à la petite Mouchette, l’une des figures de Sous le soleil de Satan de Bernanos : « Vous n’êtes point devant Dieu coupable du meurtre que vous avez commis, lui dit le Curé de Campagne. Pas plus que votre volonté n’est libre en ce moment. Vous êtes comme un jouet, vous êtes comme la petite balle d’un enfant, entre les mains de Satan. » Et Bernanos ajoute : « Que le péché qui nous dévore laisse à la vie peu de substance ! » Il me semblait que la substance du père se serait elle aussi réduite comme une peau de chagrin, s’il n’y avait eu l’innocence du fils pour voir que Dieu habitait malgré tout dans le cœur du père.
Je dirai à Claude quend je le reverrai seul à seul : Ce que tu m’as confié sur ton lit d’hôpital était plus qu’une confidence, une confession. Une vraie confession. Tu avais deviné toute la détresse de ton père à son agonie. Il ne lui manque plus à présent que ton pardon. Un pardon total, qui le libère de la nuit qui l’habite encore et l’ouvre à la douce lumière de la communion des saints. Il te libérera toi aussi. Tu renaîtras alors dans la joie des enfants de Dieu.

Je n’oublierai jamais les mots par lesquels tu achevas ta « confession » : J’ai trouvé le filon, le chemin, je ferai ce qu’un autre n’a pas pu ni su faire face à moi C’est mon bonheur, c’est mon chemin de Compostelle - il me revint alors à l’esprit que Claude m’avait parle du pèlerinage qu’il avait fait avant moi. Et je me souviens encore de ceci : quand ton père a parlé de la grâce de Dieu en toi, tu aurais voulu lui dire ; Et toi, père, sais-tu qu’elle est aussi en toi, présente plus que tu n’as jamais su le reconnaître. J’ai la force de pouvoir le dire et c’est le moment de me faire petit et de tout pardonner.

La découverte tardive de Satan

Jusqu’à dimanche dernier, vers la fin de l’été 2011, je ne croyais pas trop en l’existence du diable ou de Satan, du Malin, de l’Adversaire, du Menteur, peu importe le nom qu’on lu attribue. Certes le curé de mon enfance en parlait et la foi commune de ceux qui m’entouraient en avait fait une évidence. Evidence lointaine cependant pour que la figure du diable se dissipât peu à peu et qu’i disparût à peu près au cours de mon adolescence, bien que les prédicateurs de retraite au temps du petit-séminaire et ceux qui étaient chargés de notre formation spirituelle y fissent allusion. Puis vint le temps du grand séminaire. Il en fut, autant que je m’en souvienne, peu question du Diable dans les cours d’Ecriture Sainte et pas davantage en théologie. Ou si peu que je n’aie pas senti le besoin d’approfondir le sujet. Il y avait de ce temps-là d’autres urgences, semble-t-il. Celle en particulier de découvrir le rôle de l’Eglise en notre temps. Le maître-mot était : la mission. Il fallait trouver une réponse au phénomène de la déchristianisation ou plutôt, de l’inchristianisation, comme aimait dire Péguy, que nous lisions alors. Comment faire en sorte que le monde ouvrier qui est né et qui a grandi hors des limites de l’Eglise puisse découvrir que le message du Christ le concernait, et plus encore sa mort et sa résurrection. Il fallait que l’Eglise redevienne ce qu’elle avait été appelée à être dès sa fondation, le bercail dont le Christ serait le bon berger, la vigne du Seigneur appelée à féconder l’humanité de la sève divine, la maison de Dieu chez les homme, et tant d’autres images encore que le concile Vatican II a mis en lumière alors que nous étions ordonnés prêtres, autant dans la constitution dogmatique sur l’Eglise que dans celle plus pastorale de l’Eglise dans le monde de ce temps. Pour comprendre ce monde j’avais demandé à travailler en usine durant els vacances où les convertisseurs Thomas crachaient alors des gerbes de feu qui illuminaient alors les nuits à l’ombre de l’immense terril ; usine devenue moins de quarante ans plus tard le parc de loisirs des Stroumpfs. C’était aussi le tems des camps mission et surtout de l’Action Catholique où nous découvrions le Père de Foucauld, une nouvelle manière pour l’Eglise d’être présente au milieu des peuples et des lieux les plus reculés de la terre, ou Thérèse de Lisieux nous apprenait que la vie de contemplation n’était pas étrangère, qu’elle était au contraire nécessaire à la vie du monde et que le monde avait un cœur et pour que ce cœur batte il lui fallait une énergie qui lui vînt de la source même de son existence. Certes le mal n’était pas absent de notre univers. Hitler n’était pas encore bien loin , je me souviens, j’avais six, sept ans quand nous apprenions la mort à Dachau de l’oncle Nicolas brûlé sans doute dans un four crématoire semblable à celui que j’ai vu avec horreur à Natzviller quelques années plus tard. Marcel, un voisin de village, nous a raconté dès notre plus jeune âge l’enfer qu’il venait de vivre dans un de ces camps de la mort. Comment n’aurais-je reçu comme un coup de fouet en plein visage, dès l’entrée au grand séminaire par le récit de la mort d’Edith Stein, purifiée par le feu sur l’un des innombrables bûchers de la forêt d’Auschwitz… Le mal, le mystère du Mal me saisissait à bras-le-corps, mais il n’appelait pas la reconnaissance de Satan comme tel. Il me semblait que l’homme dans sa liberté avait le choix de son avenir : « Heureux l’home qui n’entre pas au conseil des méchants, dit le psaume I, qui ne suit pas le chemin des pécheurs, ne siège pas avec ceux qui ricanent, mais se plaît dans la loi du Seigneur et murmure sa loi jour et nuit ! Il est comme un arbre près d’un ruisseau, qui donne du fruit son temps… Tel n’est pas le sort des méchants ; ils sont comme la paille balayés par le vent : au jugement les méchants ne se lèveront pas ni les pécheurs au rassemblement des justes… » Qui dir capacité de faie le bien, laisse entendre le contraire, la capacité de faire le mal. Je n’excluais pas l’influence du Diable. Il était entendu que Satan l’Ange déchu, rôdait par là, comme le lion rugissant à la recherche de sa proie et je m’abandonnais à la grâce de Dieu, sachant que le Diable n’était pas l’égal de Dieu, qu’il n’était pas lui-même la source de sa vie, qu’il n’existait qu’en tant que créature, tenant d’instant en instant dans l’existence, comme dit si bien le Curé d’Ars, dont la pensée m’accompagne depuis les toutes premières années de petit séminaire, que le Bon Dieu est meilleur que le Diable n’est méchant ». Et pourtant notre saint Curé avait affaire avec lui, qui se manifesta quelques années après sa venue dans la paroisse, en 1824, dans un charivari inouï qui bouleversa ses nuits jusque dans mes derniers mois de sa vie, tel que le rappelle Daniel Pézeril dans un récit qui s’efforce de restituer le véritable visage du Saint d’Ars :

« C'était, en vérité, pour le Prince des Ténèbres, bien choisir son temps. Comme si le pauvre curé n'avait pas assez d'ennuis ! Aussitôt, le village — singulier village — est mis dans le coup et pour une raison très simple : M. Vianney, impressionnable à son habitude, meurt de peur. Ah ! le bon saint ! Comme il défend mal son intimité 1 Comme il appartient vite à tout le monde 1 Et malgré ses disputes, quelle famille, au fond, que ce petit hameau ! " Voici, nous dit l'abbé Monnin, comment on lui a entendu raconter l'origine de ces persécutions : " La première fois que le démon est venu me tourmenter, c'était à neuf heures du soir, au moment où j'allais me mettre au lit. Trois grands coups retentirent à la porte de ma cour, comme si on avait voulu l'enfoncer avec une énorme massue. J'ouvris aussitôt ma fenêtre et je demandai : " Qui est là ? " Mais je ne vis rien et j'allai tranquillement me coucher en me recommandant à Dieu. Je n'étais pas endormi que trois autres coups plus violents frappés non plus à la porte extérieure, mais à celle de la montée de l'escalier qui conduit à ma chambre, me firent sursauter. Je me levai et m'écriai une seconde fois : " Qui est là ? " Personne ne répondit. "

Que soupçonne le saint curé ? " Je m'imaginais que c'était des voleurs qui en voulaient aux ornements de M. le vicomte d'Ars. " L'idée n'avait rien de sau­grenue : plus tard, un ostensoir de vermeil disparaîtra. Pour lors, les bannières que le riche paroissien a offertes sont gardées, sur sa demande, à l'étage du presbytère, dans une pièce où nul ne couche, " parce que, d'après le donateur, l'haleine d'une personne, même saine, noircit les broderies d'argent . S'est-il produit peu après, vers la même date, une véritable tentative d'effraction ou sommes-nous en présence d'une version un peu tardive et arrangée du même événement ? Toujours est-il qu'en 1824 le châtelain écrit à sa sœur : " X. a dit à Y. que trois voleurs étaient entrés de nuit dans la cour de M. le Curé, mais que M. l'abbé Vianney avait ouvert sa fenêtre et leur avait si bien parlé qu'ils avaient pris la porte. " S'il s'agit de notre épisode, l'histoire, comme on va le voir, fut moins héroïque.

" Je crus qu'il était bon de prendre des précautions. Je priai deux hommes courageux de coucher à la cure pour me prêter main-forte en cas de besoin. " Des jeunes gens armés se postèrent en embuscade au clocher pour mieux surveiller les abords de la maison, tandis que d'autres s'enfermaient à l'intérieur. " Ils vinrent plusieurs nuits de suite, continue M. Vianney, ils entendaient le bruit. " Témoin, le charron du village, André Verchère : installé avec son fusil dans une chambre du presbytère, il perçut vers minuit, dans la pièce même, à ses côtés, un tintamarre si effroyable qu'on aurait dit que, dans les ténèbres, les meubles volaient en éclat sous un déferlement de coups. La

sentinelle, affolée, jette l'alarme. Le pauvre curé arrive. On regarde, on examine, on fouille coins et recoins. Ainsi chaque fois. " Ils ne découvrent rien ", répète l'abbé Vianney.

Si nous prenons à la lettre son propre récit tel que nous le livre l'abbé Monnin, ce sont les paysans qui, les premiers, suspectèrent une intervention du Malin. Ils avaient cru primitivement — et les circonstances y portaient bien — à des actes de malveillance. " Ils demeurèrent convaincus que le vacarme avait une autre cause. " Mais qui en aurait le cœur net ?

Ce fut le prêtre. " Pendant une nuit d'hiver qu'il était tombé beaucoup de neige, trois énormes coups se firent entendre vers le milieu de la nuit. Je sautai précipitamment à bas de mon lit. Je pris la rampe et descendis jusque dans la cour, pensant trouver cette fois les malfaiteurs en fuite et me proposant d'appeler au secours. Mais, à mon grand étonnement, je ne vis I rien, je n'entendis rien, et qui plus est je ne découvris sur la neige aucune trace de pas. " En remontant dans sa chambre, marche après marche, la main sur cette même rampe dont il vient de nous parler et que nous ne voyons plus au presbytère, il assiste, confondu, au développement en lui de l'évidence à laquelle il refu­sait de croire, d'une évidence terrible et qui prouve qu'il n'en a vraiment pas fini : " Je ne doutais plus alors que ce ne fût le démon qui voulait m'effrayer. "

L'épreuve durera trente-cinq ans, à peu près sans intermittence, très exactement jusqu'à ses six derniers mois. Le " grappin ", comme il dira, est sur lui. A cet égard, Catherine Lassagne a tenu un journal surprenant.

« 2 juillet 1825. M. le Curé nous a dit plusieurs fois, ces jours passés : " Je ne sais pas si ce sont des démons, mais ils viennent par grosses bandes. On dirait un troupeau de moutons. Je ne peux quasi pas dormir. " A quelque temps de là, il nous a dit : " Cette nuit, quand j'étais sur le point de m'endormir, le grappin s'est mis à faire du bruit, comme quelqu'un qui relie un tonneau avec des cercles de fer. " »

" 18 août 1825. M. le Curé nous a dit hier que " le démon chantait dans sa cheminée comme un rossignol".

"15 septembre. M. le Curé nous a recommandé d'élargir sa paillasse parce que le démon le jetait hors de son lit : " Je ne l'ai pas vu, a-t-il ajouté, mais plusieurs fois il m'a saisi et m'a précipité de mon lit. "

" 18 octobre. M. le Curé a dit hier que " le démon voulait le tuer ".

" 4 décembre. Ce soir, M. le Curé est venu nous voit et il nous a dit : " Je vais vous raconter quelque chose. Le grappin m'a fait sa visite, il soufflait si fort que j'ai cru qu'il voulait me renifler. Il semblait vomir du gravier ou je ne sais quoi dans ma chambre. Je lui ai dit : " Je m'en vais là-bas (à la Providence) dénoncer tes intrigues, afin de te faire mépriser. " II s'est tu tout de suite. "

Divulguer ces phénomènes maléfiques ne constitue donc pas, au sentiment du curé d'Ars, une indiscrétion, mais au contraire un système de défense. C'est pourquoi il s'est laissé aller à tant de confidences circonstanciées. Dans son diagnostic, il s'en tient d'ailleurs à des critères traditionnels, presque banaux : " Le Prince des Ténèbres hait la lumière ", ou : "II ne sait qu'effrayer. " " A quoi avez-vous reconnu que c'était le diable ? demandera Mgr Dévie au saint homme. — J'ai jugé que c'était le démon, répond l'autre, parce que j'avais peur; le bon Dieu, lui, ne fait pas peur. "

" Un soir — c'est encore Catherine Lassagne qui témoigne — M. le Curé était venu chez nous voir un malade. A mon retour de l'église, il me dit : " Vous aimez les nouvelles, eh bien 1 je vous en apporte une toute fraîche. Écoutez bien ce qui m'eSt arrivé ce matin. J'avais quelque chose sur ma table, vous savez ce que c'eSt ? — Catherine Lassagne traduit : c'était sa discipline — elle s'est mise à marcher comme un serpent. Cela m'a un peu effrayé. Vous savez qu'il y a une corde au bout. J'ai pris cette corde : elle était aussi raide qu'un morceau de bois. Je l'ai remise sur ma table : elle a recommencé à marcher jusqu'à trois fois. — Vous faisiez peut-être branler votre table, objecta une des maîtresses présentes à la conversation. — Non, reprit M. le Curé, je ne la touchais pas. " II reçut de la sorte, au milieu d'insomnies nerveusement et moralement exténuantes, les stigmates de sa nouvelle épreuve.. Il arrivait le matin tout pâle à l'église.

(Pauvre et séant curé d'Ars, éd. du Seuil, p.138-40)

Ces faits et d’autres semblables nous étaient connus. Le Catéchisme de l’Eglise catholique rappelle ce que

l’Ecriture et les siècles de lecture chrétienne de l’Ecriture enseignent depuis toujours que « derrière le choix désobéissant de nos premiers parents il y a une voix séductrice, opposée à Dieu qui, par envie, les fait tomber dans la mort… qu’on appelle Satan ou diable. Et quand il est dit dans le Notre Père : « Mais délivre-nous du mal », il faut entendre non pas une simple abstraction, mais la personne même de Satan, le Mauvais, l’Ange qui s’est révolté contre Dieu. Et pourtant nous n’accordions qu’une oreille distraite à l’expérience du démoniaque. Nous avions quitté le monde sacral et religieux du passé et vivions de plein fouet sans trop le savoir ce qu’on commençait à appeler la sécularisation : un monde où l’homme s’émancipait de la religion et perdait le sens du sacré. Je me souviens de la rencontre d’un malade, au temps où j’étais aumônier en psychiatrie ; cela se passait dans une UMD (une Unité pour Malades Difficiles). Je dialoguais dans la salle commune qui servait aussi de réfectoire avec une dizaines de patients : de la vie, de la mort, des problèmes de la vie ordinaire, quand, au moment où je prenais congé, l’un d’eux qui était resté en retrait – il somnolait assis à une table – se redressa et m’interpella à voix douce : Hé, l’aumônier, j’ai une question à vous poser. Je m’approche de lui. Il me fixa d’un regard à la fois vif et malicieux et sans autre forme de procès me demande : Savez-vous qui vous êtes ? La question fit son effet. Je compris qu’il attendait une réponse sérieuse. J’étais dans l’embarras. Je crois avoir dit : Votre question est difficile et je dois avouer que je ne sais pas bien qui je suis. Je pourrais vous raconter ce que je fais, d’où je viens, ce que j’espère, mes préoccupations actuelles. Mais qui suis-je en vérité ? Il faudrait que j’y réfléchisse un moment. – Moi non plus, je ne sais pas qui je suis. Je suis plusieurs, tantôt un tel, tantôt un autre. Il continuait de me regarder et semblait satisfait, il avait dit ce qu’il avait à dire. Nous échangeâmes encore quelques paroles et je partis. Je ne l’ai plus jamais revu, mais un lien fort s’était établi entre nous. Sur le champ, en un éclair, il m’avait appris à lire le récit du possédé de Gerasa qui vint à jésus quand il apprit son arrivée chez eux, sur l’autre rive de la mer de Galilée. Il vivait dans la montagne, parmi les tombes et personne n’arrivait à le lier, même avec une chaîne, il poussait des cris et se tailladait avec des pierres. Jésus lui : Sors de cet homme, esprit impur ! Et il l’interrogeait : Quel est ton nom ? Il dit : Légion est mon nom, car nous sommes beaucoup. Je pensais à mon malade de l’UMD ; il avait fait la même réponse que le possédé de Gerasa, à ceci près que l’un disait plusieurs et l’autre, légion. Ils étaient des frères dans leur malheur, des êtres éclatés, en morceaux. Serait-ce cela la possession : être habité par d’autre que soi, devenir multiple, ne pas savoir qui je suis. Mais ne suis-je pas moi-même leur frère ? Suis-je bien moi ? Je est un autre, disait Rimbaud. La psychanalyse a passé par là. La figure du diable : un symbole ou un être vivant ? Je ne savais plus. Je doutais. Il a bon dos, le diable, me dis-je. Il se manifeste dans les expériences de tentation, comme on le voit chez Jésus, lors de son séjour de quarante jours au désert, ou chez les saints, comme saint Antoine, saint Benoît ou, plus près de nous, chez le Curé d’Ars. Mais de quoi s’agit ? N’y a-t-il pas d’autre explication possible de ces phénomènes extraordinaires que par lui ? La Bible le nomme/ Voire ! répond Jean-Pierre Jossua, « les personnes démoniaques de l’Ecriture sont multiples, d’origine diverse, tardivement amalgamées, et il n’est guère possible de trancher la question : le Satan est-il une clé d’interprétation ou une figure à interpréter. Je faisais aussi mien ce que Jossua dit de la fonction du démoniaque, qu’elle nous aide à parler du mal. Le mystère du mal devant lequel la seule attitude serait de lutter contre lui et de croire malgré lui, comme Job, en interpellant sn Dieu jusqu’au bout (La foi de jour en jour, éd. Beauchesne p.16-17).

Que s’est-il passé en moi dimanche dernier pour que les choses changent et que la figure de Satan s’impose à nouveau comme un être réel, j’allais dire en chair et en os, dont l’existence ne faisait plus de doute. En vérité, je ne l’avais pas éliminé totalement. Je le croyais toujours possible ; il avait seulement pâli à mes yeux. De divers côtés vinrent de signes qui s’ajutant les uns aux autres se cristallisèrent ce jour-là en un moment et m’amenèrent à conclure : Mais c’est vrai, Satan existe ! Non point que je l’ai rencontré, mais il se fit en moi comme un faisceau de preuves qui me le rendirent évident. A travers la méditation de l’Apocalypse et des commentaires de Paul Claudel, celui en particulier consacré aux vitraux de la Ferté Milon : « Savez-vous ce que j’écris en ce moment ? Un commentaire de l’Apocalypse ! C’est passionnant », écrit-il à Darius Milhaud. Quelques mois plus tard il précise : « Je suis plongé dans les sables de l’Apocalypse ». En décembre 1930 il écrit au même correspondant : « je travaille toujours tranquillement à l’Apocalypse, où toute la Bible est en train de déboucher. » Il termine son commentaire au château de Brangues le 23 juillet 1930 et achève de la copier en merle 11 août 1932. Il ne sera publié qu »après sa mort, en 1966. Il se remit à l’ouvrage et écrivit un nouveau texte, Paul Claudel interroge l’Apocalypse qu’il achève de copier en décembre 1942. Tandis que la guerre ravage le monde :

« Je le sais, elles vont sonner! Mais avant même qu'elles sonnent, une fois, deux fois et de nouveau j'en ai senti jusqu’à l'intérieur de mes os la transe glacée et cette vibration de la « classique » jusqu'à l'extrémité de mes ongles! Je vous dis qu'elle va sonner! C'est l'automne et je me tiens debout sur cette berge douloureuse et assoupie pendant qu'au loin on entend le coup de ce marteau qui tape sur la terre! Londres brûle, et de partout, de Bristol, de Liverpool, de Calais, de Hambourg, d'Amsterdam, de Brème, de Francfort et de Berlin, il commence et il recommence à s’élever une fumée mêlée de feu! Et l'Ange a pris l'encensoir, et il le remplit du feu de l'autel, et il le jeta sur la terre. Et il se fit des tonnerres et des voix et des éclairs et un ébranlement. Mais pendant que toutes les richesses du monde font connaissance avec une certaine aptitude en elles qu'elles avaient à la destruction, pendant que la graisse de la terre se transforme en. un tourbillon de fumée caligineuse, où le sacrifice des innocents et des justes se mêle à l'écrabouillement des réprouvés, quel est, étrangement communiquant à la puanteur infâme et à la détonation des entrepôts qui explosent, cet arôme amer et poignant? Voici que le monde entier, je ne m'occupe pas ici du pays de Caïn, de Luther et de Satan, il a réappris à prier! Il y a des enfants terrifiés qui rient et sanglotent sur le corps de leur maman, il y a vieillards secoués d'un affreux tremblement, il y a des femmes en deuil qui s'étreignent sous l'arche d'une église bombardée! Est-ce qu'il existe donc à présent, est-ce qu'il se mettrait à la fin à exister, ce Vengeur que nous avions oublié? Et la fumée des parfums monta avec la prière des Saints de la main de l’ange en face de Dieu. Je l’ai vu, cet encensoir dont parle saint Jean! Dans la voûte mélancolique cette après-midi qui couvrait le ciel il y avait des trous, et l’encensoir balancé et resplendissant apparaissait tantôt à l’un et tantôt à l’autre » (Ed. Gallimard)

Pour Claudel, il n’y avait pas l’ombre d’un doute, Satan n’était pas un symbole, mais un être vivant, un ange déchu qui existait même avant la création du monde et que l’Apocalypse présente comme le Dragon que combattirent au ciel Michel et ses anges, quand la femme enveloppée par le soleil, la lune sous ses pieds et une couronne de douze étoiles sur la tête, mit au monde son Fils et qu’un énorme Bête rouge feu à sept têtes et dix cornes s’éleva contre lui. Le Dragon avec ses anges, poursuit l’Apocalypse, l’antique Serpent, le diable ou le Satan, fut défait et jeté sur terre (Ap. 12, 1-9).

La lecture de ces textes fit peu à peu son effet. Je me trouvais face à un monde invisible, différent de ce que nous connaissons sur terre. J’en étais là dans mes méditations, quand Benoît XVI, lors de son voyage en Angleterre en 2010, béatifia le cardinal J.H. Newman et qu’à cette occasion je repris en main une anthologie consacrée à ce nouveau bienheureux que j’avais dans ma bibliothèque depuis les années de grand séminaire. Je n’étais pas vraiment jusque là entré dans sa pensée en ce temps là. Quel ne fut pas ma surprise quand je lus le premier texte que donne le livre, un sermon du 16 juillet 1837. En un clin d’œil je fus emporté dans le monde invisible dans lequel il essayait d’introduire ses auditeurs. En voici un large extrait :

Vous connaissez le début du Credo : je crois en Dieu le Père tout puissant, créateur du ciel et de la terre, de l’univers visible et invisible… Il y a donc deux univers, « le visible et l'invisible », le monde que nous voyons et le monde que nous ne voyons pas; et le monde que nous ne voyons pas existe aussi réellement que le monde que nous voyons. II existe réellement, quoique nous ne le voyions pas. Le monde que nous voyons, nous savons qu'il existe parce que nous le voyons. Nous n'avons qu'à lever les yeux et regarder autour de nous, le soleil, la lune et les étoiles et la terre que nous habitons, les fleuves et les mers. De même nous voyons les hommes et les œuvres des hommes, les villes, leurs monuments, et les campagnes avec leurs habitants. C'est un monde immense, il atteint jusqu'aux étoiles. (...)

Pourtant, en dépit de cet univers que nous voyons, il y en a un autre , tout aussi étendu, tout aussi proche de nous, qui nous entoure de toutes parts, quoique nous ne le voyions pas : le royaume de Dieu, du Dieu tout-puissant qui est là, nous le savons; il existe plus réellement sans pourtant, nous ne l'entendions pas ni ne le voyions pas; nous ne faisons que « Le chercher à tâtons » [cf. Actes 17. 27]. Une fois, et une fois seulement, Dieu s’est laissé voir, en naissant de la Vierge Marie en ce monde sensible et en vivant pendant trente-trois ans notre vie d‘homme... Il est venu chez les siens, dit saint Jean, et les siens ne l’ont pas reçu , ils l’ont même condamné à mort et exécuté. En dehors de cette courte période, la présence divine n'a jamais été perceptible par le moyen de nos sens. Seulement par la foi. Il vint, et il se retira derrière le voile : et pour chacun de nous, c'est comme s'il ne s'était jamais montré ; tant nous avons peu l'expérience sensible de sa présence. Et pourtant, est-il écrit dans la lettre aux Hébreux, « il vit éternellement » [Hébr. 7. 25].

Dans cet autre monde sont encore tous ceux qui nous ont précédés sur terre, nos proches et la multitude deux qui nous précèdent dans la mort depuis les débuts de l’humanité. Les anges, eux aussi, sont des habitants du monde invisible..., « les serviteurs et les ministres envoyés pour exercer leur ministère en faveur des hommes»... [Hébr. 1, 14]... On nous dit que lorsque le patriarche Jacob s'enfuit loin de son frère Esaü, « étant venu en un certain lieu, il y passa la nuit parce que le soleil était couché... » [Gen. 28. 11]... Comme il pensait peu qu'il pût y avoir quelque chose de merveilleux en cet endroit ! C'était un endroit tout comme les autres. C'était un lieu solitaire et incommode. Il n'y avait pas de maison, la nuit venait et il lui fallait dormir sur le roc nu. Et pourtant, combien la réalité était différente ! Il ne voyait que le monde visible, et pourtant le monde invisible était là. (...) Il vit dans son sommeil « en songe une échelle dont les pieds étaient appuyés sur la terre et le haut touchait au ciel, et des anges de Dieu montaient et descendaient le long de l'échelle ». Il vit aussi le Seigneur qui se tenait au sommet. Ceci était l'autre monde.

Maintenant, faisons une remarque. On parle communément de l'autre monde comme s'il n'existait pas mainte­nant, mais seulement après la mort. Non, il existe mainte­nant, quoique nous ne le voyions pas. Il est parmi nous et autour de nous. C'est ce qui fut montré à Jacob en songe... Et ce que Jacob vit dans son sommeil... les bergers au temps de la Nativité, non seulement le virent, mais l'en­tendirent. Ils entendirent les voix des anges qui louent Dieu « jour et nuit » (Apocalypse 4. 8).

Nous sommes donc dans un monde spirituel tout autant que dans un monde sensible, et nous sommes en communion avec lui, et nous y participons, quoique nous n'ayons pas conscience de le faire. Il est donc présent et non pas futur. Il n'est pas au-dessus du ciel, il n'est pas par-delà la tombe ; il est maintenant et ici : « Le royaume des cieux est parmi nous [Luc 17. 21]. Saint Augustin en a parlé mieux que tout autre. « Je t’ai cherché partout, Seigneur, au loin, alors que tu étais tout proche; tu étais dans mon cœur et moi je ne le savais pas; tu étais intérieur à moi, plus intérieur à moi que je ne le suis moi-même.» Nous nous étonnerons quand nos yeux s’ouvriront à ces merveilles à l’heure de notre pâque.

Tel est le royaume caché de Dieu ; et de même qu'il est maintenant caché, ainsi sera-t-il révélé au moment voulu. Les hommes croient être les seigneurs du monde et pouvoir faire ce qu'ils veulent... Toutes choses en apparence continuent comme elles étaient depuis le commencement de la création, et des railleurs demandent : « Où est la promesse de sa venue ? » [2 Petr. 3. 4]. Mais au temps marqué les enfants de Dieu se manifesteront» (Rom.8. 1) et les saints cachés « resplendiront comme le soleil dans royaume de leur Père » (Matt. 13. 43) (dans Pensées sur l’Eglise de J.H. Newman, éd. du Cerf 1956).

Je n’étais pas fermé à cette réalité invisible, qui n’est autre que le ciel en moi, mais le sermon de Newman fit une brèche et m’ouvrit au monde des anges tel que notre Jacob le vit en songe au livre de la Genèse et Jean, le prophète, comme aime l’appeler Claudel, dès le début de l’Apocalypse, quand le jour du Seigneur il vit en extase le Fils de l’homme tenant dans sa main droite sept étoiles qui sont, explique-t-il, les anges des sept Eglises. Je fus alors amené à relire tout le livre, le chapitre IV en particulier, qui se passe autour du trône et de « Celui qui y était assis », « l’Asseyant », dans la traduction de Paul Claudel, avec la remise à l’agneau qui était seul capable de l’ouvrir, du rouleau écrit au recto et au verso et d’en déchiffrer le sens. Et nos participons à la grande liturgie céleste avec le chant et le rituel des quatre vivants, des vint-quatre vieillards et de la multitude de toutes les nations…Mais il me fallut encore attendre un peu pour que ce monde invisible prenne vie en moi. Cela se fit quand j’écrivis le dialogue avec Henri dans sa chambre d’hôpital. Il me semble qu’une main mystérieuse tirait le père vers l mal, qu’un ange déchu, l’un de ceux qui furent jetés sur terre avec Satan, lors du combat avec Michel et l’armée du ciel. La présence de Satan comme tel ne s’imposa pas encore. Je tiens le journal de la rencontre avec Henri le vingt janvier 2012. Quand j’eus fini, j’en ai parlé à un confident. Alors me vint l’idée de reprendre Sous le soleil de Satan de Bernanos. Je relus le roman dans les trois ou quatre jours qi suivirent. Alors tout s’éclaira. Aussi réels que les anges sont les démons ou anges déchus, les séducteurs du monde entier (Ap. 12, 3-9).

Dois-je écrire la suite ? En rentrant dans mon appartement lundi, le vingt-trois janvier, en fin d’après-midi, je m’allongeai sur le lit pour reprendre quelque force. Mon esprit vagabondait, je rêvassais. Rapidement je fus pris à la gorge par une odeur nauséabonde. D’où cela venait-il ? J’ai regardé, à gauche, de tous côtés. De canalisation d’où pourrait venir une telle odeur, il n’y en a pas à l’étage que j’habite. Je me suis levé. Rien au salon, ni dans les autres pièces de l’appartement ; je revins dans ma chambre, l’odeur me reprit, je me suis recouché. Alors me revint à l’esprit ce que j’ai vécu ailleurs. Une jeune maman vint m’appeler au secours. « Je voudrais que vous veniez bénir ma maison, dit-elle, toute émue ; elle est envahie par une odeur insupportable qui ne vient pas de la cave ; j’ai demandé à une entreprise de vérifier les lieux. Elle me fit voir les sources possibles. Là, dans ce coin de cuisine – elle ouvrit une porte de placard. Vous ne sentez rien ? – Non, dis-je, je ne sens rien. Je ne sentais rien, en effet, mais à présent que j’y repense, je note un certain froid qui me pénétrait alors, quelque chose de négatif, comme si elle m’appelait à me relâcher, à m’abandonner à elle. Elle dégrafe son corsage et fait boire le bébé au sein. Un sentiment étrange me traverse. Je vais prier avec vous, dis-je. Ce que j’ai fait. Puis j’ai béni la maison et je suis reparti. Quelque temps plus tard, elle revint à la charge ; la maison continuait d’être empestée et hantée par le Mauvais. La fille aînée et l’un des garçons ont confirmé les faits. Ensemble nous avons prié. Quelques mois plus tard je l’ai interrogée. Elle me répondit que tout était rentré dans l’ordre. Je n’avis pas pensé un seul instant qu’il pouvait s’agir d’un phénomène démoniaque. Maintenant j’hésite. N’était-ce pas une manifestation du Mauvais ? Je me reposais cependant calmement et plus rien ne parut de l’odeur qui m’avait surpris. Quand Antoinette revint à la maison, je lui racontai mon histoire. Elle écouté avec bienveillance. Le samedi 28 janvier, je lus comme je le fais tous les samedis, la chronique de Geneviève Jurgensen. Elle écrit que « la vérité peut jaillir des poèmes dont le sens mystérieux nous gagne peu à peu. » et je me dis que ma longue familiarité avec l’Apocalypse, la reprise infinie de certains versets laisse émerger peu à peu en moi des pépites d’or que je n’avais pas perçues jusque là.

Que n’avais-je pas perçu ?

Que ce que Jean avait écrit de son temps continue de s’écrire aujourd’hui, que nous n’avons pas fini avec les fléaux et les catastrophes, que les persécutions de Néron ou de Domitien sont toujours d’actualité. N’est-ce pas ce que la chronique de Jurgensen évoque avec le massacre des Arméniens. Mais plutôt que de s’ériger aujourd’hui en juge du passé et de proposer une loi de plus qui condamne à l’amende et à la prison quiconque nierait chez nous la réalité du génocide arménien, n’aurait-il pas été plus sage, se demande notre journaliste, de s’armer de patience envers les Turcs d’aujourd’hui qui ne portent pas plus la responsabilité de ce que leurs pères ont fait que nous, des massacres de la Grande guerre ou des tortures en Algérie ? Des voix turques se sont déjà fait entendre à ce propos. Dont celle de Nazim Hikmet :

" Les lampes de l'épicier Karabet sont allumées,

Le citoyen arménien n'a jamais pardonné

Que l'on ait égorgé son père

Sur la
montagne kurde

Mais il t'aime,

Parce que toi non plus tu n'as pas pardonné

A ceux qui ont marqué de cette tache noire

Le front du
peuple turc. "

Ces mots qui disent la vérité de ce qui s’est passé et qui nous appellent au pardon nous interpellent davantage que les discours des sénateurs et députés qui ont voté la loi soutenue par le président Sarkozy et punissant quiconque nierait le génocide arménien de1915, dont le plus clair résultat fut , jusqu’à ce que le conseil constitutionnel, jugeant qu'elle était contraire à la liberté d'expression, l’eût censurée en février dernier.

Et voici que l’article de Jurgensen évoque une autre page douloureuse de notre histoire, où le Mauvais se manifeste autant, pour ne pas dire plus que dans les événements de l’Arménie, celle de l’extermination des Cambodgiens par les Khmers rouges. Quatre années de folie meurtrière, de 1975 à 1979, avec près de deux millions de victimes. Pas croyable !

Comment ne pas nous souvenir ici de l’innommable génocide du Rwanda en1994 ?

Oui, il m’a fallu beaucoup de temps et de patience pour que l’Apocalypse se mette à me parler et que Satan avec ses anges deviennent autre chose qu’une figure de style ou un être de raison, qu’il prenne corps, et que je le découvre vivant aujourd’hui en moi, autour de moi. Non pas comme acteur principal et unique du monde, je sais que le Christ est au cœur de l’histoire, mais que je le tienne pour ce qu’il est réellement, le lion à la recherche de sa proie. Pas seulement une clé pour interpréter le mal et parler des épreuves de la vie, des fractures de l’âme, de tout ce qui divise l’humanité et de la violence, mais le fomentateur de tous les désordres. Alors me vint en mémoire Bernanos dont les romans n’ont cessé de m’accompagner tout au long de la vie sans cependant entamer ma résistance à son égard, lui, l’ange qui a chu sur terre dans sa révolte contre Dieu et qui cherche à tirer l’humanité entière vers lui ; il restait pour moi le phénomène démoniaque. A présent que je relis Sous le soleil de Satan, sa présence s’impose à moi comme une évidence.

Mais il faut commencer par le début.

Le roman se déroule en trois actes. Il Commence avec l’histoire de Mouchette, une jeune fille de seize ans, fière et impulsive qui s’enfuit de la maison à minuit, pour vivre à sa guise. Les aventures avec le marquis de Cadignan l’amènent au désespoir ; elle tue son amant, puis se heurte à la lâcheté d’un autre notable de la société, le docteur Gallet. Une crise de démence terrasse la malheureuse. Elle est internée. Déjà Satan rôde dans le paysage, même s’il n’est pas nommé. Bernanos nous entraîne dans un monde où règne l’argent, le paraître, la haine, la violence, toutes valeurs que recherche Satan, où l’essentiel de ce qui fait vivre l’homme est absent. Rien de pur, de noble, rien qui puisse répondre la soif d’absolu. Mouchette en est comme la victime et le lecteur la voit s’enfoncer peu à peu dans le mensonge qui ne pouvait que la mener au crime, à la folie et finalement au suicide.

Le second acte que Bernanos intitule « la tentation du désespoir » pourrait aussi bien s’appeler l’éveil à la sainteté ou la lutte avec le mauvais ange. Tout commence à la fameuse nuit de Noël où le curé de Campagne, Menu-Segrain, éveille à sa véritable vocation son vicaire, l’Abbé Donissan

« Mon enfant, dit enfin l’abbé Menou-Segrais, l'opinion que vous avez de moi est assez juste dans l'ensemble, mais fausse en un seul point : je me juge, hélas ! avec plus de sévérité que vous ne pensez. J'arrive au port les mains vides...»

Il tisonnait les bûches flamboyantes avec calme.

« Vous êtes un homme bien différent de moi, re­prit-il, vous m'avez retourné comme un gant. En vous demandant à Monseigneur, j'avais fait ce rêve un peu niais d'introduire chez moi... eh bien, oui... un jeune prêtre mal noté, dépourvu de ces qualités naturelles pour lesquelles j ai tant de faiblesse, et que aurais formé de mon mieux au ministère paroissial... A la fin de ma vie, c'était une lourde charge que j'assumais là, Seigneur ! Mais j'étais aussi trop heureux dans ma solitude pour y achever de mourir en paix. Le jugement de Dieu, mon petit, doit nous surprendre en plein travail... Le jugement de Dieu !...

« ... Mais c'est vous qui me formez », dit-il après un long silence"!

A cette étonnante parole, l'abbé Donissan ne détourna même pas la tête. Ses yeux grands ouverts n'exprimaient aucune surprise ; et le doyen de Campagne vit seulement au mouvement de ses lèvres qu'il priait.

« Ils n'ont pas su reconnaître le plus précieux des dons' de l'Esprit, dit-il encore. 7/5 ne reconnaissent jamais rien. C'est Dieu qui nous nomme. Le nom que nous portons n'est qu'un nom d'emprunt... Mon enfant, l'esprit de force est en vous. »

Les trois premiers coups de l’angélus de l’aube tintèrent au-dehors comme un avertissement solennel, mais ils ne l'entendirent pas, mais ils ne l'entendirent pas. Les bûches cou­laient doucement dans les cendres.

« Et maintenant, continua l'abbé Menou-Segrais, et maintenant j'ai besoin de vous. Non ! un autre que moi, à supposer qu'il eût vu si clair, n'eût pas osé vous parler comme je fais ce soir. Il le faut cependant. Nous sommes à cette heure de la vie (elle sonne pour chacun) où la "vérité s’impose par elle-même d’une évidence irrésistible, ou" chacun de nous n'a qu’à étendre les bras pour monter d'un trait à la surface des ténèbres et jusqu'au soleil de Dieu. Alors, la prudence humaine n'est que pièges et folies. La sainteté ! s'écria le vieux prêtre d'une voix profonde. En prononçant ce mot devant vous, pour vous seul, je sais le mal que je vous fais ! Vous n'ignorez pas ce qu’elle est : une vocation, un appel. Là où Dieu .vous attend, il vous faudra monter, monter ou vous perdre. N’attendez aucun secours humain. Dans la pleine conscience de la responsabilité que j'assume, après avoir éprouvé une dernière fois votre obéissance et votre simplicité, j'ai cru bien faire en vous parlant ainsi. En doutant, non pas seulement de vos forces, mais des desseins de Dieu sur vous, vous vous engagez dans une impasse : à mes risques et périls, je vous remets dans votre route ; je vous donne à ceux qui vous attendent, aux âmes dont vous serez la proie... Que le Seigneur vous bénisse, mon petit ! » ( éd. du Livre de poche p. 100-1)

Il n’en fallut pas davantage, pour lancer le jeune prêtre sur le chemin de la sainteté. Enfin, il connut la joie, la vraie joie, et la paix, mais aussi l’heure, avant qu’il ne soit reconnu come le saint de Limbres de la confrontation ultime avec le mal, ou plutôt avec celui qui est à l’origine du mal, Satan.

Il n’est pas possible d’ouvrir l’Apocalypse sans que surgisse la figure de Satan. Mais le roman de Bernanos m’entraîna plus loin, il m’ouvrit à sa présence ; il prit forme en moi, mes hésitations cessèrent. La tragédie humaine et les passions avilissantes dont il est parfois donné de surprendre quelques remous à la surface d’une pauvre vie, fût-elle la mienne, je renonce à en déceler la source dans le propre fond de l’homme et je conclus avec la plus vieille tradition humaine à l’existence du monde invisible des démons dont le prince est appelé Lucifer dans l’Apocalypse. « Le dogme catholique du péché originel et de la rédemption, disait Bernanos dans une conférence de 1926, a surgi non pas d’un texte, mais de la figure emportée dans le mal par plus fort qu’elle. Le problème posé par un certain abaissement et une certaine dissipation sacrilège de l’âme humaine appelle l’idée de rachat. Ainsi l’abbé Donissan n’est pas apparu par hasard ; le cri de désespoir de Mouchette le rend indispensable. Claudel écrivit à Bernanos : « Tout votre livre s’ébranle pour venir au secours de cette petite âme écrasée. » Et c’est à ce prêtre, l’abbé Donissan, en réalité une âme de feu, que le Malin s’en prend. NON pas sous la forme d’un charivari de chaînes nocturne qui empêchait le Curé d’Ars de dormir, mais sous les traits avenants d’un soi-disant maquignon qui suit les marchés de bestiaux de Calais jusqu’au Havre et qui vient par hasard au secours du prêtre égaré et que la nuit surprend sur le chemin d’Etaples à Campagne. Il marche, parfois à pas paisibles, souvent à la hâte. Rien n’y fait, par trois fois il revient au point de départ. Impossible de rompre le cercle dont il se sent prisonnier. Alors le petit homme noir se présente comme pour l’aider.

« Décidément, pour Donissan, ce soleil de Satan est ténébreux comme le veut la tradition : en effet le Mal est apparenté à la nuit où il se dissimule, et aux cauchemars qui remontent des profondeurs du subconscient. La magie noire peut opérer, le fantastique peut s’immiscer dans les failles du réel. Il faut le silence, le cercle envoûté qui enferme dans un labyrinthe évident, qui devient le lieu clos de l’arène puis le lit de la promiscuité avec le jovial et ambigu maquignon. En effet Satan a pris l’apparence d’un ami de rencontre. Donissan est conduit ironiquement à se confier, voire à se confesser à cet inconnu pris pour un bon Samaritain. Se déroule alors une succession de plus en plus rapide de séduction hypnotique qui endort la volonté, de persiflages, et de menaces qui découragent. L’abbé est adoubé par l’ignoble et sacrilège baiser de Judas. Donissan participe à sa manière à l’agonie du Christ à Gethsémani. Loin de se dérober, il surmonte sa terreur vertigineuse pour affronter l’ennemi et mesurer ses pouvoirs. Donissan a la vision de la défaite de son adversaire, de sa condamnation au supplice éternel, mais en même temps il lui est donné de voir dans son propre dédoublement la puissance démoniaque à l’œuvre dans sa vie. Il résiste aussi à la tentation diabolique de connaître l’avenir et les épreuves qui lui sont réservées. Seuls lui appartiennent le présent et la liberté de dire non à « une curiosité surnaturelle ». Il n’échappe pas tout à fait à ce désir impur de prendre pouvoir sur l’Ennemi, retombant encore quelque temps sous sa coupe pour entendre de l’ignoble bouche son don de lire dans les âmes.

Remis dans le droit chemin par un humble carrier rencontré juste après le terrible face à face, Donissan, alors qu’il l’ignore encore, est désormais prêt à rencontrer Mouchette, « le dernier et suprême acteur de cette inoubliable nuit… », et à combattre l’Esprit des ténèbres dans une âme possédée par « la douleur sans espérance, dont elle était consumée. (dans un article de Jean-Luc sur Internet)

Ce compagnon insolite qui dans un combat gigantesque où l’on croit voir en négatif celui de Jacob avec l’ange au torrent de Yabocq se présente comme le froid - je suis le froid lui-même, confie-t-il à Donissan. Et le narrateur remarque que sa lumière est d’un froid intolérable. Lumière, il l’est par création, puisque son nom est Lucifer, mais au lieu d’éclairer, elle s’ouvre sur les ténèbres et le néant. Un néant tel qu’il appelle un vertige absolu, donne une nausée qui soulève les entrailles du rêtre et le plonge dans l’abîme sidéral. Un monstre capable de cabrioles inattendues, qui devant la résistance du prêtre et son échec « roule du haut en bas du talus et se tourdille dans la boue, tiré par d’horribles spasmes, puis l’immobilisa, les reins furieusement creusés, reposant sur la tête et sur les talons, ainsi qu’un tétanique » (p. 153). Et quand à la fin du combat le vicaire de Campagne se rue sur lui, il ne rencontre que le vide et l’ombre. Est-il une personne, un être ? Certainement, mais un être qui n’est que négation et qui en défaisant tout, se défait lui-même et finit par n’être plus qu’une dépouille dans la boue du chemin. Une chose que le pied du prêtre repousse hors du chemin (p. 156) et sur lequel il ne peut tracer le signe de la croix. Un objet, note encore Bernanos, ou un « cela » au sein de la joie, quelque chose que ‘l’extase n’absorbe pas : « Cela sent, observe, calcule, cela lutte pour s’imposer. Cela, n’est-ce pas Satan lui-même (p. 115) ? Ratzinger, le futur pape Benoît XVI, parle de non-personne (dans un texte que cite Hans Urs von Balthazar dans Espérer pour tous ,p. 133) et que l’on ne peut mieux évoquer que Bernanos lui-même l’a fait dans un autre de ses romans, Monsieur Ouine. M. Ouine ne peut que s’enfoncer dans le néant puisqu’il s’est soustrait au don de la vie absolument. « Car notre espérance ne se fonde pas une immortalité, propriété de l’homme » (J.P. Jossua XXXX p.17).

Il m’a fallu ce long détour pour mieux voir l’enjeu des puissances du mal qui se manifestent de la première à la dernière page de l’Apocalypse où l’on voit la mort et l’Hadès jetés dans l’étang d feu et la Jérusalem céleste descendre d’en haut. Elles sont présentes, ces puissances maléfiques, quand il est dit que le Christ nous aime et nous lave de nos péchés (1, 5) et que même ceux qui l’ont transpercé le verront. Elles se manifestent dans l’épreuve que traverse le visionnaire « à cause de la parole de Dieu et du témoignage de Jésus » et qui fait de lui « le frère et le compagnon de tous les persécutés » (1,9). On les voit à l’œuvre dans les sept Eglises des chapitres 2 et 3. La victoire ensuite qu’a obtenu le Lion de Juda suppose qu’il y ait eu lutte contre des forces ennemies. Pareillement l’agneau égorgé suppose la présence d’ennemis et l’œuvre de la violence. Tout cela se poursuit à l’échelle cosmique, car l’univers entier est appelé à partager la révolte des hommes contre Dieu.

Mais Satan n’apparaît expressément qu’avec le Dragon du chapitre 12 en arrêt devant la femme en trail, au moment où il s’apprête à dévorer l’enfant (12, 3). Michet et ses anges volent à son secours et chassent du ciel les adversaires, « l’énorme Dragon avec ses anges, l’antique serpent, le diable ou le Satan,, comme on l’appelle, le séducteur du monde entier (12, 9). Le Dragon transmet sa puissance à deux autres bêtes. Celle du chapitre 13 qui vient de la mer, avec sept têtes et dix cornes, portant chacune un diadème, dont le pouvoir est immense et qui séduit la terre entière. L’autre bête qui a deux cornes comme un agneau surgit de la terre – on l’appelle dans la suite le faux-prophète (16, 13 ; 19, 20 ; 20, 10) ; elle aussi séduit la terre et ses habitants et les convainc d’adorer le Dragon. Son chiffre ystérieux 666 a suscité les divagations les plus invraisemblables. J’aime l’insterprétation que propose Pierre Prigent :

Le nombre de la bête, nous dit-on, est son nom chiffré. Or, on connaît plusieurs manières de dégager des équivalences entre lettres et chiffres. En voici deux exemples choisis parmi les plus courants :

La gématrie. Ni l'hébreu ni le grec ne disposent de chiffres. On se sert pour cela de lettres. Un mot a donc toujours une valeur numérique calculable. Ce qui permet des jeux de... mots et des rébus. Cha­cun connaît l'inscription gravée sur un mur de Pompéï : « J'aime celle dont le nom est 545. » Assurément la bien-aimée s'y est reconnue, mais ceux qui ne sont pas dans le secret passeront beaucoup de temps avant de trouver un prénom (et sera-ce le seul possible ?) qui fasse la somme voulue !

Nous connaissons plusieurs exemples de ce genre de calculs gématriques dans le christianisme primitif. Il n'est pas exclu que notre texte suppose ce type de raisonnement.

Si c'est le cas, il faut encore décider si la base du calcul sera l'alphabet grec ou l'hébreu. Dans cette dernière éventualité, on mentionnera avec un intérêt certain l'hypothèse qui fait valoir que « Qesar Néron » (Néron empereur) vaut 666. L'explication est séduisante et elle est même loin d'être invraisemblable, nous l'avons vu à propos d'Ap. 13,3 s.

La valeur symbolique. Dès le IIe siècle de notre ère, on remarquait qu'un triple 6 devait exprimer une intention particulière. 6, dit Irénée, c'est le chiffre du mal, de l'iniquité, de l'apostasie. Peu importe ici la valeur du symbolisme dégagé. L'important est de prêter attention à ce qui ne peut pas être fortuit : la bête doit être caractérisée uniquement par des 6. Or, nous connaissons d'autres exemples de semblables symbolismes numéraux. Ainsi au livre I de la Sibylle (lignes 324-331) lit-on que le nom de Fils de Dieu est composé de trois 8 pour bien en marquer la divinité. Et, de fait, en grec le nom de Jésus vaut 888. Dans ces conditions il paraît raisonnable de prendre 666 comme un nombre destiné à mettre en lumière le caractère particulièrement démoniaque d'une réalité ou d'un personnage en insistant sur son lien fondamental avec le chiffre 6, évidemment regardé comme typique de l'Ennemi (6 : ce qui tend au chiffre divin 7, mais qui ne l'atteint pas?). Ceci n'interdit nullement de chercher (et de trouver peut-être, mais difficilement de prouver) un nom qui équivale à 666. Mais peu importe qu'il nous faille en rester à des hypo­thèses ; une fois arrivé là, l'essentiel du mystère est éclairci : 666 est une façon de marquer le caractère satanique de la bête impériale (« Et le ciel s’ouvrit, éd. Du Cerf p.184-5).

Il m’est devenu évident au cours de ma lecture de l’Apocalypse que les forces du mal sont davantage qu’une réalité issue du monde et de ses habitants, qu’elles viennent d’ailleurs et de plus haut, pour entraîner l’humanité dans son sillage. Seul un feu venu du ciel peut donc les détruire (Ap. 20, 9). Ce n’est pas à la chair et au sang que nous sommes affrontés, écrit saint Paul, mais aux esprits du mal qui sont dans les cieux et « qui ne peuvent être combattus et vaincus qu’avec l’armure de Dieu » (Eph. 6, 12-13) :

« Et nous voilà placés du fait même devant les puissances sataniques de l'Evangile, écrit Urs von Balthazar ; dans l'histoire du salut, elles n'entrent en scène que lorsque le « Saint de Dieu » apparaît sur terre : en lui, elles ressentent et reconnaissent le véritable adversaire de Satan (Me 1,24). Nous avons besoin d'un tel Saint pour que lui, « le plus fort », puisse entrer dans la maison de l'homme fort et la piller avec tous ses biens (Mt 12,29). Et quand Jésus donne à ses disciples envoyés en mission « pouvoir de chasser les démons » (Me 3,15), il y faut une prière parfaite adressée au Père, dont les disciples ne sont pas encore capables (Me 9,29 ; Mt 17,21).

Nous sommes ainsi placés devant la question d'une puissance mystérieuse — une superpuissance pour les hommes — qui présente en quelque sorte des traits « personnels », des traits qui se dessinent précisément en présence de la personne de Jésus. Disons d'entrée de jeu qu'une espérance théologique ne saurait concerner cette puissance. L'espace du salut qu'ouvré le Fils fait homme se rapporte exclusivement à l'humanité. On donnera raison à Karl Barth sur ce point : d'éventuelles affirmations sur le sort des puissances sataniques sont à ce point marginales dans le Nouveau Testament qu'on ne saurait élaborer à partir d'elles une démonologie cohérente (le faisceau de la Révélation éclaire avant tout l'homme : qu'il lui suffise de savoir que dans la pénombre de sa périphérie prolifère réellement le satanique) ; et que d'ailleurs on ne doit pas élaborer une démonologie, car l'homme n'a pas vocation à scruter avec curiosité les ténèbres de l'enfer, mais à lever les yeux vers le Dieu rédempteur pour lui rendre grâces » (Espérer pour tous, DDB 1987 p. 132).

Il faut que je cite encore une page de Claudel qui dialogue avec sa fille sur la chute de Satan ta rapporte l’Apocalypse :

le père : Te rappelles-tu le coucou d'Hostel que le grand-père remontait tous les samedis? Depuis qu'il est mort, le coucou aussi est mort dans sa petite boîte.

la fille : C'était un poids au bout d'une ficelle qui faisait marcher toute la boutique.

LE père : Et de même c'est la chute de Satan qui a déclenché toute l'histoire du monde. Il descend, faisant monter la Jérusalem terrestre vers sa sœur céleste.

la fille : Pan! vous me donnez un coup de poing en pleine figure et vous appelez ça une explication.

le père : Avant Satan, comme je te l'ai expliqué, tout se passait dans la Cour Céleste suivant la forme circulaire. Un battement de l'immense cœur succédait à l'autre battement. On ne peut même pas dire qu'il succédait. Il y avait répétition, résurrection, plutôt que succession. C'était le nombre en extase devant l'unité.

la fille : Je comprends.

le père : Et de même quand le nombre primitif sera réintégré et que Satan pour toujours sera incarcéré dans son vêtement définitif, il ne se passera plus rien et le battement ancien recom­mencera dans le Ciel.

la fille : Ainsi c'est avec Satan qu'il commence à se passer quelque chose?

le père : C'est avec lui que quelque chose a commencé à passer, c'est-à-dire à finir pour ne pas recommencer. L'Apocalypse, c'est toute l'histoire du Monde depuis la sécession de Satan jusqu'au Jugement final. C'est là le peu de temps dont parle Jean, quelques milliers ou millions de siècles. Il a vu tout cela dans un seul éclair qui illumine tout le ciel depuis l'Orient jusqu'à l'Occident. Quand Satan sera jugé, toute l'histoire sera finie. Elle sera devenue éternité. Elle ne sera plus présente que sous la forme de Livre sur les pupitres du Chœur céleste.

la fille : Oui, je reconnais là vos idées dont vous avez causé avec moi si souvent : quand la mort sera engloutie dans la Victoire et quand le temps sera englouti dans le rythme! Ce que j'aime surtout dans votre idée, c'est cette intervention du néant. Cette fraîcheur continuelle de la mort et de la résurrection. Notre vie qui sera un don et une reprise continuels, une prosodie basée sur l’ïambe en accord avec le chœur universel (Au milieu des vitraux de l‘Apocalypse, Gallimard 1966, p.137-8).

le père : Ne te souviens-tu pas de cette parole de Jésus-Christ dans l'Évangile : Je voyais Satan tomber du ciel comme un éclair?

la fille : Je m'en souviens.

le père : II le voyait tomber... Une idée me vient : c'est donc que la chute n'était pas complètement terminée. la fille : Et maintenant que vous m'y faites penser, il me semble que quatre ou cinq des sept trompettes de l'Apocalypse que vous me lisiez hier, ces trompettes qui sont précédées par un silence d'une demi-heure, se rapportent beaucoup plus à la chute de Lucifer qu'à aucun événement encore futur : la mon­tagne qu'on précipite dans la mer, la projection de l'Étoile Absinthe qui empoisonne les Eaux, l'obscurcissement des luminaires célestes pour un tiers, la grêle et la pluie de feu, en attendant que le puits de l'Abîme s'ouvre et vomisse sur le pauvre monde des tourbillons de sauterelles.

le père : Les sauterelles dévoratrices de la substance auxquelles préside le roi Abaddon ou Apollyon qui signifie Exterminateur, celui que le prophète Amos appelle fictor locustae (l‘auteur des sauterelles). N'y faut-il pas voir l'image des mauvaises pensées et la passion de l'analyse acharnée sur elle-même, l'âme retournée sur elle-même qui se regarde et se ronge?

la fille : Et de même, quand le Sixième Sceau s'ouvre, le soleil et la lune qui s'obscurcissent, les étoiles qui tombent sur la terre comme des figues malades, comment nous empêcher de penser à l'événement formidable par lequel s'inaugure l'histoire du Monde?

LE père : Et de même encore la malédiction de Tyr et du Roi de Tyr dans Isaïe et dans Ézéchiel, il s'agit là évidemment d'autre chose que cette petite île phénicienne. Tiens, j'ai juste­ment là le livre sous la main. (Il lit :) N‘est-ce pas elle qui s‘est vantée de sa parfaite beauté et qui étends ses limites au cœur de la mer. — Suit la descrip­tion de toutes les richesses et splendeurs de Tyr, qui, toutes, naturellement, peuvent recevoir une interprétation symbolique1.

la fille : Ce qui me frappe, c'est cette expression le Cœur de la Mer. C'est remarquable le ciel (p.14-15).

Et le poète d’expliquer à sa fille que le cœur de la mer représente à ses yeux le centre du mouvement primordial, sorte d’onde vivifiante et de fleuve de feu, qui jaillit du trône et de la face de Dieu, comme on le voit dans Daniel 7, 10. Tyr sous son voile historique représente le ciel :

« Tyr est dans la Mer, « à l'entrée de la Mer » (XXVII, 2), c'est-à-dire à l'origine du jaillissement de ce Fleuve qui d'après le Psaume réjouit la Cité de Dieu, « au cœur de la Mer », c'est-à-dire dans la présence directe de ce principe divin qui est le centre, le réceptacle et le moteur de ses flots, l'organe incessant de purification et de renouvellement. Puisque nous savons aujourd'hui que le Sacré-Cœur, l'organe de l'humanité de Dieu où se résume sa vie et son amour, sera la source du bonheur des Élus. « Où Je suis — Ego sum —, dit saint Jean, je veux que vous soyez avec moi. » Avec son cœur, avec ce qu'il y a de plus essentiel en Lui, avec ce qui bat dans sa poitrine et qui sera l'origine du Temps nouveau, avec ce qui en lui substantiellement fait le Christ. « Où est Dieu? » (Ps. XCIX) nous le savons maintenant, révélé par Ézéchiel d'une manière qui ne saurait être plus claire et plus positive, quand il place ces paroles dans la bouche de L'Ange rebelle : Je suis Dieu (Deus Ego sum) et j'ai siégé dans la Chaire de Dieu, dans le cœur de la Mer. Voilà donc où ce Trône est établi d'où le Père dit éternellement à son Fils : Siège à ma droite. — Tyr est essentiellement un atelier et un marché : elle va chercher au loin des richesses qu'elle restitue après les avoir transformées. Les richesses et les trésors sont essentiellement la connaissance que l'on a des œuvres de Dieu, puisqu'on jouit d'infiniment plus de choses par la connaissance intellectuelle que par la possession Plusieurs manières de jouir des choses : ou bien on les consomme immédiatement, ou on se les procure en en donnant d’autres à la place, ou bien on les met dans un trésor, c'est-à-dire qu’on les place en réserve comme sa propriété pour en faire usage tard en temps voulu… » (Paul Claudel p. 327).

Mais lisons la suite dans Ezéchiel 26. Tous les exégètes sont d’accord avec lui, ajoute le poète, que le roi de Tyr s’est laissé entraîné par Celui qui est devenu le prince de ce monde et qui a entraîné avec lui quelque chose de son efficience propre :

« Voici ce que dit Yahvé : Je vais m’en prendre à toi, Tyr, et je ferai monter contre toi des nations nombreuses comme les flots de la mer. Elles détruiront les remparts de Tyr et abattront ses tours ; j’en balaierai la poussière et j’en ferai un rocher nu. Elle ne sera plus qu’un séchoir en mer pour étendre les filets. C’est moi Yahvé qui le dis : elle sera pillée par les nations. Ses villages qui sont sur la terre ferme seront livrés à l’épée et l’on saura que je suis Yahvé » (26,2-4).

C’est l’occasion de nous familiariser avec la lecture spirituelle que fait Claudel de la Bible, à la suite des Pères de l’Eglise, d’Origène en particulier, qu’ila découvert au contact des Jésuites de Lyon, et qu’il entend rendre au peuple chrétien :

« Jetons-nous donc sans crainte, la tête la première, dans cet océan d'amour et de beauté, l'Ancien Testament, où tant de Saints, tant de génies, ont trouvé un aliment inépuisable. Refaisons connaissance, dans leur réalité vivante et typique avec ces personnages vraiment surhumains, je veux dire chez qui une humanité intégrale est tout entière transfigurée par la signification authentique, Abraham, Jacob, Joseph, Moïse, Samuel, David. Ce ne sont point des héros de roman et de théâtre. Nous pouvons les prendre dans nos bras. Ce sont nos frères et nos sœurs, mais des frères, des sœurs tout pleins de Dieu, débordants de la Volonté du Très-Haut. Lisons l'Écriture Sainte, mais lisons-la comme la lisaient les Pères qui nous ont montré que c'était la meilleure manière d'en profiter, lisons-la à genoux! Lisons-la non pas avec des intentions de critique, cette sotte curiosité qui ne va qu'à la vanité, mais avec la passion d'un cœur affamé! On nous a dit que la vie est là, que la lumière est là, pourquoi n'essaierions-nous pas un petit peu par nous- mêmes de savoir le goût que ça peut avoir? Ce n'est point seulement la Majesté du Sinaï qui nous convie à l'ascension! C'est un sourire féminin, le sourire de cette Sagesse, de cette Vierge auguste dont le Seigneur a posé l'image devant lui pour s’encourager à créer le monde! C'est elle que nous apercevrons à l'extrémité de cette longue perspective de monuments incomparables. Elle est depuis la Genèse, cette aurore progressive qui précède le soleil levant. Cette lumière divine, elle n'est absente, pour nous, chrétiens, d'aucune des parties du texte révélé, qu'il s'agisse de l'Ancien Testament ou du Nouveau. C'est à elle que peuvent s'appliquer ces paroles du Sauveur dans l'Évangile : «Quand on vous dira : il est dans le désert, ce n'est pas vrai ; il est dans une chambre fermée, ne le croyez pas! Mais comme l'éclair part de l'Orient et se montre jusqu'en Occident, ainsi sera l'avènement du Fils de l'homme. » C'est lui qui règne sur toutes les parties de l'Ancien Testament, dont il est l'inspirateur aussi bien que du Nouveau. C'est lui qui en a contresigné toutes les pages de ce serment solennel :’’Je suis le Vivant’’ » (dans J’aime la Bible, éd. Bayard, p. 43-44).

Les anges!

En toute vie le silence dit Dieu,

Tout ce qui est tressaille d'être à lui !

Soyez la voix du silence en travail,

Couvez la vie, c'est elle qui loue Dieu !

Pas un seul mot, et pourtant c'est son Nom

Que tout sécrète et presse de chanter ;

N'avez-vous pas un monde immense en vous?

Soyez son cri, et vous aurez tout dit.

Il suffit d'être, et vous vous entendrez

Rendre la grâce d'être et de bénir ;

Vous serez pris dans l'hymne d'univers,

Vous avez tout en vous pour adorer.

Car vous avez l'hiver et le printemps,

Vous êtes l'arbre en sommeil et en fleurs ;

Jouez pour Dieu des branches et du vent,

Jouez pour Dieu des racines cachées.

Arbres humains, jouez de vos oiseaux,

Jouez pour Lui des étoiles du ciel

Qui sans parole expriment la clarté ;

Jouez aussi des anges qui voient Dieu

Patrice de la Tour du Pin, l’auteur de cette hymne nous invite à être – il suffit d’être ! –, à nous laisser prendre dans l’hymne d’univers et à jouer des branches et du vent, comme le musicien joue de l’orgue, de la harpe ou de la flûte, des étoiles du ciel et des anges qui voient Dieu. Je ne pourrai plus chanter dorénavant ces vers limpides comme le cristal sans voir les anges, sans que s’éveille en moi la scène près du Yaboq où pendant le sommeil Jacob vit me ciel ouvert : « Voilà qu’une échelle était dressée sur la terre et que son sommet atteignait le ciel, et des anges de Dieu y montaient et descendaient (Gen. 28, 12). Je n’entrerai plus dans la chapelle des anges au Mont Sainte-Odile comme je le faisais jusqu’ici, sans que les messagers de Dieu des mosaïques ne s’animent devant moi. Et je ne célébrerai plus d’eucharistie sans que la liturgie sur terre, si humble soit-elle, ne s’ouvre à celle du ciel. Le mardi de la première semaine, je me sentirai uni à la multitude des anges rassemblés autour du trône, des Vivants et des Vieillards – ils se comptaient par myriades de myriades et par milliers de milliers et chantaient : « Il est digne, l’Agneau immolé, de recevoir puissance et richesse, sagesse et force, honneur, gloire et louange » (5, 12). Le jeudi je rendrai grâces avec eux à notre Dieu : « Maintenant voici le salut et le règne et la puissance de notre Dieu, voici le pouvoir de notre Christ … » (Ap. 11 et 12) et le dimanche soir je joindrai ma voix au bruit de la foule immense qui chante au ciel les louanges de Dieu. Ainsi je participe dès maintenant dans le bonheur sans déclin de ceux que Dieu appelle à la vraie vie.

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