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APOCALYPSE : la vision de Bourges

Rédigé par Bernard Molter Publié dans #APOCALYPSE

La vision de Bourges

Regardez ce vitrail. Ce n’est pas une copie du réel qui s’offre à toi, mais un autre monde, plus proche des orants de Sumer que des photographies de visage d’aujourd’hui. C’est ainsi que Jean l’apôtre présente son texte de l’Apocalypse. Une vision. « Je vis, sept candélabres d’or, et au milieu des candélabres comme un Fils d’homme » (1, 12-13)

Regarde bien ce Fils d’homme, le Christ, ses grands yeux, son attitude hiératique, on dirait l’apparition de l’Éternel. Non pas le frère du Beau Dieu d’Amiens, moins encore des Christ de Michel-Ange, mais de celui sculpté dans la pierre au portail sud de la même cathédrale de Bourges. Dans sa mandorle il m’appelle et me fait signe de l’au-delà.

- On dirait un rêve.

- On pourrait en effet penser qu’il s’agit d’un rêve.

- Je sens que tu n’es pas d’accord et que tu vas dire qu’un rêve n’est jamais que le produit de l’homme.

- Exactement. Tiens, le rêve de la nuit du 20 janvier 1992, je m’en souviens parce que j’ l’ai écrit le matin même au sortir du sommeil, sinon il se serait évanoui, comme s’évanouissent la plupart des rêves que l’on fait à longueur de nuit et dont il ne reste en général qu'un un vague souvenir, des bribes parfois.

- Pourrais-tu me raconter ce fameux rêve que tu as noté ? Je porte dans mes bras le pape Jean-Paul II comme une maman porte son bébé, sauf que dans mon cas il s’agit d’un adulte et pas n’i quel adulte. Rien moins que le pape, de la taille d’un bébé et je porte à travers les rues de la ville de Metz depuis la cathédrale où il vient de célébrer la messe jusqu’à l’évêché. Mais le parcours ne ressemble à rien de réel. Ce sont de petites ruelles, toutes pavoisées, pleines de monde telles qu’on peut les imaginer un jour de fête ou de foire d’après les représentations du moyen âge. Jean-Paul habillé tout de blanc cherche quelque chose quand subitement il me guide vers une galerie de vente. Il choisit un cadeau et tient à le payer. Rien à faire, la marchande qui se trouve parmi la foule et les statues à vendre refuse, elle veut le » lui offrir. Nous poursuivons le chemin qui monte à présent, l’évêché est tout en haut de la colline, il domine la ville. Je porte Jean-Paul II vers les remparts de la ville. La cathédrale - je reconnais distinctement celle de Metz - est à nos pieds avec l’ensemble de la cité. J’admire la vue. Puis nous arrivons à l’évêché qui s’ouvre sur l’unique pièce où des tables sont dressées, comme des tables de brasserie à une fête de campagne. Les prêtres nous attendent. Monseigneur aussi. Non pas l’actuel, mais le prédécesseur, Paul Joseph Schmitt. Je dépose le pape à sa place. Alors je prends vraiment la mesure de sa petite taille. Pas plus haut qu’un nain. Avec une grosse tête. A peine a-t-il le

temps de présider la prière et de prendre un petit potage qu’il se roule à quatre pattes vers la sortie. Arrivé au seuil de la porte il vomit des petites boules blanches, comme des billes.

Rêve étrange comme le sont la plupart des rêves. Et pourtant tout s’explique. La veille au soir, avant de m’endormir j’ai lu deux ou trois pages du livre Le monde de Jean-Paul II. Or, il y est dit, me semble-t-il, que le pape petit de taille est un géant de l’histoire. S’il est petit il paraît tout à fait normal que je le porte comme on porte un petit et il domine l’histoire comme nous dominions la ville et la cité du haut des remparts. Pourquoi ensuite la ville s’état -elle métamorphosée en cité du moyen âge? C’est très simple. De Frossard à Froissart il n’y a qu’un pas que le rêve franchit allègrement. Froissart ayant été le chroniqueur de Louis IX, roi de France, comme Frossard l’est de Jean-Paul II, pourquoi la scène ne se situerai-t-elle pas au temps de saint Louis ? Mais il pourrait y avoir encore un autre élément qui expliquerait la petite taille du pape ey sa façon d’avancer à quatre pattes jusqu’au seuil de la porte de l’évêché puis d’y vomir des petites boules blanches. A l’époque du rêve j’étais préoccupé par la biographie de l’oncle curé. J’essayais en particulier de revivre et d’imaginer son enfance à Kirviller; je pensais aux jeux qu’il jouait avec ses camarades de village, vers les années 1895. Le pape qu’appelait la lecture de Frossard et qui avait célébré la messe à la cathédrale de Metz quelques années auparavant, à laquelle j’avais participé prenait donc les traits du petit Émile Molter qui allait devenir mon oncle curé, tel qu’il traversait mon imagination. Et moi je le portais comme on porte un petit enfant dans les bras. Ainsi les préoccupations du moment peuvent-elles prendre d’étranges figures de rêve!

- Oui, dans le rêve les frontières entre le réel et l’imagin s’estompent. Aussi est-il possible de voir des êtres à la fois vivants et morts.

- N’est-ce pas le cas dans bien des pages de l’Apocalypse ? L’agneau tel qu’il se montre au chapitre V n’est-il pas à la fois vivant et mort. Il a racheté par son sang la multitude en fête et il est capable d’ouvrir le livre que Jean pleure de ne pouvoir ouvrir. Aussi reçoit-il, en tant que lion de la tribu de Juda et rejeton de David, de toutes les créatures du ciel et de la terre louange, honneur, gloire et puissance au même titre que Celui qui siège sur le trône; il est tout puissant avec ses sept cornes et rien n’échappe à sa vue, il a sept yeux, comme s’il voyait de tout son corps. Les formes s’évanouissent, comme dans le rêve et pourtant nous sommes ailleurs que dans le rêve. La vision vient d’en haut, tandis que le rêve vient de l’homme, de ses profondeurs, de ce qui dépasse le domaine de la conscience, des profondeurs du psychisme invisible à la claire conscience. Aussi merveilleuse soit la lumière qui se manifeste à certains humains qui ont touché aux portes de la mort, puis ont repris vie, elle ne livre pas les secrets de l’au-delà de la vie terrestre et le fameux tunnel qui semble s’ouvrir à la mort apparente n’est pas encore l’entrée dans l’éternité; il demeure de ce côté-ci de la vie. Il en va autrement de la vision qui est un don de Dieu et ne relève pas de la magie opérée par puissance du sommeil: elle vient de l’Esprit divin et s’empare de qui il veut pour adresser des messages aux hommes.

- Ainsi le songe de Jacob quand il s’enfuit de chez lui après avoir dérobé à son frère Esaü le droit d’aînesse et qu’il chercha refuge chez son oncle Laban :

«Il sortit de Béer-Shéva et partit pour Harrân et fut surpris par le coucher du soleil en un lieu où il passa la nuit. Il prit une des pierres de l'endroit, en fit son chevet et coucha en ce lieu. Il eut un songe: voici qu'était dressée sur terre une échelle dont le sommet touchait le ciel; des anges de Dieu y montaient et y descendaient. Voici que le Seigneur se tenait près de lui et dit: «Je suis le Seigneur, Dieu d'Abraham ton père et Dieu d'Isaac. La terre sur laquelle tu couches, je la donnerai à toi et à ta descendance. Ta descendance sera pareille à la poussière de la terre. Tu te répandras à l'ouest, à l'est, au nord et au sud; en toi et en ta descendance seront bénies toutes les familles de la terre. 15 Vois! Je suis avec toi et je te garderai partout où tu iras et je te ferai revenir vers cette terre car je ne t'abandonnerai pas jusqu'à ce que j'aie accompli tout ce que je t'ai dit.» 16 Jacob se réveilla de son sommeil et s'écria: «Vraiment, c'est le Seigneur qui est ici et je ne le savais pas» (Genèse 28,12-22).

Ainsi Joseph fut averti en songe du mystère qui enveloppait Marie, son épouse:

« Un ange du Seigneur vint se manifester à lui dans un rêve et lui dit : “Joseph, fils de David, n’aie pas peur de prendre chez toi Marie, ton épouse. La voilà enceinte par l’intervention de l’Esprit Saint ; °21 elle mettra au monde un fils et tu lui donneras le nom de Jésus ; car c’est lui qui sauvera son peuple de ses péchés.” Tout cela fut donc l’accomplissement de ce que le Seigneur avait dit par la bouche du prophète : Voici que la vierge est enceinte et met au monde un fils. On l’appellera Emmanuel, ce qui veut dire Dieu-avec-nous. Quand Joseph se réveilla, il fit ce que l’ange lui avait ordonné et il prit avec lui son épouse. (Matthieu1, 21-24).

On appelait les prophètes à l’origine des « voyants ». Saül, dit l’Ecriture, avant qu’il fût roi s’en alla chez Samuël le voyant (I Samuël 9,9-12).

« Yahvé, tu m’as séduit, confesse le prophète Jérémie, et je me suis laissé séduire.

Tu m’as fait violence et tu as gagné.

Tout le jour je suis celui dont on rit ;

tous se moquent de moi !

Je ne parle que pour dire : “Violence !”

pour crier : “Dévastation !”

La parole de Yahvé est pour moi chaque jour,

source d’humiliation et de moquerie.

Je me suis dit : “Je ne penserai plus à lui,

je ne parlerai plus en son nom !”

Mais c’était en moi comme un feu qui brûlait et dévorait mes os :

j’essayais de le contenir, mais je ne pouvais pas » (Jérémie 20, 7-9)..

Les visions n’ont pas cessé avec la clôture des Écritures. Parmi d’autres visionnaires des siècles chrétiens, Thérèse d’Avila s’exprime sans confusion dans son Autobiographie : « J’ai vu par expérience ce que je dirai ». A propos de la lumière divine, la personne la plus intelligente, remarque-t-elle, pourrait passer sa vie à imaginer ce qu’elle est qu’elle n’y parviendrait pas… j’ai une grande expérience de cela, car quand le Seigneur le veut, nous voyons même sans le vouloir ». On pourrait multiplier les citations, elles nous introduisent peu à peu, par leur répétition, dans les zones qui nous sont à nous-mêmes cachées, et même si nous n’y comprenons rien, pas plus que Thérèse, elles nous ouvrent au royaume de l’invisible. Un mondee nouveau est là qui s’impose comme une chose. « Je vis en oraison à côté de moi, écrit-elle, ou plutôt je sentis, car je ne vis rien ni avec les yeux du corps ni avec ceux de l’âme, mais j’eus le sentiment que le Christ était à mes cotés, je crus voir que c’était lui qui parlait… Mais je ne voyais pas sous quelle forme, mais je le sentais très clairement à ma droite, il était témoin de tout ce que je faisais» (p. 184).

Si Thérèse d’Avila a vu comme Jean l’Apôtre a vu, il y a cependant une grande différence entre eux qui saute aux yeux. Thérèse parle notre langage, ses visions se comprennent aisément même si les réalités dernières nous échappent, comme elles échappaient à elle-même, car il s’agit dans tous les cas de Dieu et du mode divin qui est au-delà de tout créé, au-delà de tout le dicible car, dit une hymne ancienne tout ce qui se dit est sorti de Lui.

- Mais pourquoi écrit-il un texte aussi obscur?

- Il n’est obscur, ma fille, que pour ceux qui l’abordent avec l’idée qu’il est obscur. C’est une idée préconçue. Il en va pareillement des psaumes On dit : Ah, les psaumes, je n’y comprends rien… Laisse-moi te raconter une petite histoire. Celle d’un détenu d’une maison d’arrêt que je connais bien pour y avoir été aumônier pendant quelques années. Appelons-le Gilles. Gilles à 26 ans. Il est en prison depuis plusieurs semaines. Un pauvre. Très perturbé depuis l’enfance, malmené par les parents. Je l’avais vu une première fois. Je lui demande à la fin de l’entretien d’écrire ce qu’il venait de raconter. Une semaine plus tard, je le revois. Gilles me tend une feuille. Il souhaite que je lise à haute voix ce qu’il a écrit. Voici :

« Je souhaite devenir une personne bien et non mal », la phrase est soulignée comme s’il s’agissait d’un titre (il sait à peine écrire le français, son texte est plein de fautes, je corrige). Et il s’interroge : Qui suis-je ? Qu’est-ce que je cherche ? Vais-je trouver ce que mon cœur me fait chercher ? Si seulement je savais ce que je cherche ! pour quoi dans mon enfance Dieu ne m’a-t-il pas aidé ? Voilà ce que ça m’a apporté.

- J’ai perdu celle que j’aime,

- J’ai perdu ma fille,

- J’ai perdu la vie que je désirais et ma famille ne m’a jamais aimé.

-Que vais-je devenir ?

-Que va-t-il m’arriver ?

-Où faut-il que je retrouve le créateur de tous ?

…. Je suis triste de ce que j’ai fait.

Je ne sais plus quoi faire à part trouver ce que je suis sensé trouver. Vais-je trouver ? Je ferai tout pour le savoir ! »

Quand j’eus fini de lire son texte, nous échangeons un moment, puis il reprend la parole. Il parle, parle. Un flot de paroles. Des choses difficiles qu’il n’avait pas écrites. En quittant la cellule, j’échange avec Jeannne la responsable de l’aumônerie sur tout ce qu’il venait d’exprimer, sa détresse immense, et nous nous demandons comment il est possible qu’il s’en sorte. Entre temps, Gilles est venu à la messe du samedi matin. Une semaine plus tard, nous le revoyons : il est toujours très abattu ; il parle toujours autant dans un flot ininterrompu de paroles. Il nous montre un petit livre qu’il tient en main : les quatre évangiles suivis des psaumes. « J’ai commencé à lire là-dedans », dit-il. Mais apparemment, il n’a pas trouvé de lumière. Il continue à se débattre dans la nuit. Je dis : « Essaie de lire les psaumes que tu as dans le petit livre ». Je lui explique un peu : ce sont les prières des Juifs des temps anciens ; elles expriment des sentiments qui sont encore les nôtres aujourd’hui : la joie, la peur, l’angoisse, l’action de grâce, le regret, la louange. Je lis quelques strophes avec lui. Il comprend.

Un peu plus tard, le mercredi de Pâques, nous retournons à sa cellule. Jeanne lui dit : « Tu es tout rayonnant aujourd’hui ». J’avais pareillement remarqué que ce n’était plus le même jeune homme, triste, abattu, angoissé. Il nous tend des feuilles de papier. « Voilà, dit-il, ce que j’ai écrit ».

Jeanne et moi regardons. Six pages pleines de fine écriture. « Lisez », dit-il. On lit à tour de rôle, à haute voix. « Ma prière, par ton nom, Dieu, entend ma prière, sauve-moi par ta puissance, rends-moi justice ; Dieu, entends la voix de ma prière, quand j’élève les mains vers toi ! Je suis comme l’eau qui se répand, tous mes membres se disloquent. Mon cœur est comme la cire, il fond au milieu de mes entrailles. Ma vigueur a séché comme l’argile, ma langue colle à mon palais… Seigneur, au secours! »

Je n’en reviens pas. Comment ce jeune homme qui n’a aucune formation biblique peut-il lire avec tant de pénétration les psaumes qu’il ne connaissait pas. Il a été touché par leur lecture. Il y a trouvé les mots qui lui ont permis d’exprimer ce qu’il ressentait et en les écrivant, de se libérer. En terminant, il note : « Voilà se que je ressens et que je ne ressentais pas avant ». Qu’est-ce qu’il a ressenti et qu’il n’avait pas ressenti avant ? Probablement ceci qu’il exprime à plusieurs reprises dans le texte : que Dieu est bonté, qu’il est miséricorde et fidélité, qu’il peut lui crier son péché, tout le mal qu’il a fait et que Dieu lui pardonne, qu’il ne reste pas sourd à son appel. « Béni soit Dieu qui n’a pas écarté ma prière, écrit-il, ni détourné de moi son amour. »

Deux questions cependant lui restent entre les dents. La première : « Le mal est-il parti de moi en me laissant en paix ? » Et la seconde : « Mais si Dieu me pardonne est-ce que moi je peux me pardonner ? J’ai fais trop de mal pour me pardonner ». Il faudra encore du temps pour que Gilles apprenne à répondre à ces interrogations. Le lendemain au cours d’une rencontre de chrétiens, nous méditions la mort du Christ selon l’évangile de Marc où il est dit que le centurion qui était là en face de Jésus, voyant comment il avait expiré, s’écria : « Vraiment, cet homme était le fils de Dieu ». Je suis saisi par la figure de ce centurion qui exprime quelque chose d’inouï, que cet inconnu crucifié dont il avait la responsabilité en tant que soldat romain était le fils de Dieu. Comment pareille reconnaissance fut-elle possible ? Rien ne semblait l’y avoir préparé, ni son passé de soldat païen, ni le visage meurtri de celui qui était cloué sur le bois. A moins que la nudité du visage qui lui faisait face n’ait interrompu le cours habituel des choses. Marc remarque précisément que le centurion se tenait en face de Jésus et qu’il le regardait. Il a laissé le visage venir à lui, sans chercher à expliquer – il n’y avait rien à expliquer -, à donner sens ; il a reçu ce visage défait et nu, hors de l’ordre, tel qu’il s’offrait, dans le dérangement absolu. A ce moment de la réunion, j’ai revu le visage du détenu de la prison de Sarreguemines, j’ai pensé à la prière qu’il avait écrite, aux mots qu’il avait trouvés dans les psaumes et qui ont résonné dans sa propre détresse. Il est devenu quelqu’un à mes yeux, à ce moment précis, unique au monde, infiniment précieux, fils de Dieu, vivant, ressuscité…

- Tu m’obliges, papa à relire l’Apocalypse. Peut-être comprendrai-je ce que je n’ai pas compris jusqu’ici?

- Et pourquoi pas? Essaie. Il n’est pas dit que moi qui ai lu des commentaires savants, je sois plus avancé que toi.

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